Archives de catégorie : Jardins

Balade au Père-Lachaise

Cinq heures du soir en hiver…  A droite, la chapelle du duc de Morny (due à Viollet-le-Duc), qui servit de dépôt de munitions aux Communards.

Le texte qui suit ne date pas d’hier. Il remonte à une époque où j’habitais tout à côté du plus fameux des cimetières parisiens…  Mais qu’importe ? Conçus pour survivre à ceux qui les bâtissent, les cimetières se fichent bien du Temps qui passe.  Avec ses quarante-quatre hectares de jardin en plein Paris, celui-ci attire chaque année plus de deux millions de visiteurs. A côté des touristes, l’endroit a ses fidèles, ses fervents, ses fondus, pour ne pas dire ses drogués. Méfiez-vous, car on devient vite accro : puissante, en effet, est la magie des lieux…


Sépulture Arbelot. On peut y lire cette épitaphe touchante :
« Ils furent émerveillés du beau voyage qu’ils firent jusqu’au bout de la vie »

Une rose à la main, le poète symboliste belge, Georges Rodenbach (1855-1898). N’avait sans doute pas dit son dernier mot…

J’ai toujours aimé les cimetières : je m’y sens bien. Un peu comme en vacances. Ailleurs. Au calme. Au bout du monde. Ce plaisir qu’on éprouve à se balader au milieu des morts, il y a des gens, parfois, qui ont du mal à le comprendre. Certains sont même vaguement choqués. Ils vous interrogent d’un air bizarre. Comme si vous aviez des dents de vampire, des croix gammées, des pieds fourchus et des traces d’acné dans votre libido. Moi, ce sont eux qui me paraissent bizarres… La Mort appartient à tout le monde : à charge pour chacun de gérer l’Affaire comme il peut. Même chose pour les cimetières… Que certains préfèrent les éviter, en définitive, n’est pas pour me déplaire. S’ils sont incapables d’apprécier la beauté, les douceurs, les mystères, la drôlerie même parfois, de ces lieux singuliers, qu’ils aillent donc porter ailleurs leurs gros godillots d’écraseurs d’escargots !… Ne croyez pas que j’aie une quelconque phobie des godillots : là n’est pas la question. De bonnes chaussures de marche sont même vivement recommandées pour visiter le Père-Lachaise si l’on veut échapper aux échauffements de coussinets dus à des semelles trop minces. Les vénérables pavés des allées sont redoutables… Et gare aux entorses pour les petits curieux qui préfèrent s’en écarter. Un dernier conseil : prévoyez au moins deux heures pour une vraie visite et n’oubliez pas, s’il fait chaud, d’emporter une bouteille d’eau…

Le grand monument aux morts de l’entrée principale

L’entrée de service 


Il n’y a pas de morte saison – si on peut dire – au Père-Lachaise. Venus du monde entier, les touristes débarquent toute l’année. Avec, bien sûr, un pic de fréquentation l’été. Heureusement, l’endroit est si vaste qu’il parvient à en absorber des masses avant que son charme n’en soit trop gravement affecté. Le cimetière a plusieurs portes. La plupart des visiteurs choisissent la plus large, boulevard Ménilmontant, avant de s’égailler par petits paquets dans les allées. Cette entrée qui donne sur le grand Monument aux Morts – merveilleusement lugubre : somptueux – est la plus belle, la plus spectaculaire, mais je ne l’emprunte jamais. Je préfère celle qui se trouve à l’opposé, tout en haut du cimetière (côté Gambetta pour le métro). Ainsi font les gens du quartier, ceux qui viennent papoter sur les bancs, nettoyer des tombes, nourrir les chats. C’est aussi l’entrée qu’utilisent les convois pour le crématorium : l’entrée de service, en somme… J’avoue que le crématorium n’est pas vraiment l’endroit que je préfère. Trop d’amis, déjà, partis en fumée. Mais il ne me dérange pas plus que ça. Je m’efforce simplement de maintenir une distance de discrétion avec les familles en deuil qu’on risque fatalement de croiser dans les parages : eux et moi, on n’est pas là pour la même chose…


Le crématorium : il y a des jours où noir, c’est noir…

Quand le show est fini…


Sainte Edith !… Depuis sa mort en 1963, la chanteuse fait  l’objet d’un vrai culte. De là à lui attribuer des guérisons miraculeuses… Et oui, c’est une légende qui court !

Les défunts qui m’intéressent ne sont pas morts d’hier. Trop frais, le trépassé me met mal à l’aise. Je sais qu’il aussi mort que les autres, mais quand même… Un peu comme s’il fallait lui laisser le temps d’arriver, de s’installer, de s’habituer. Aller sur la tombe d’une vedette au lendemain de son enterrement ne me viendrait pas à l’esprit. Pour quoi faire ?… Le show est fini, rideau, y a plus rien à voir. L’engouement des foules pour le people à peine refroidi m’a toujours laissée perplexe. Derrière l’hommage prétendu, je vois ce que l’émotion a de bidon, je sens l’instinct charognard, je soupçonne la satisfaction revancharde…
 


Oscar Wilde en sphinx ailé : le poète est toujours très visité,  fleuri, mais avec, quelque part , quelque chose de cassé. La statue est signée Jacob Epstein (1880-1959). La mutilation date de 1961. Le bruit a couru que ce qui manque à la statue a longtemps servi de presse-papier au Conservateur du cimetière… Info ou intox ? Le mystère, lui, reste entier.


Mais, bon, je ne veux peiner personne. Lors d’une précédente visite au Père-Lachaise, j’ai rencontré une petite dame qui ne serait sans doute pas d’accord avec moi. Elle, c’est une vraie fan. Elle a jailli comme un lutin à côté de moi alors que je photographiais la tombe d’Edith Piaf. Pour le moins soixante-dix ans, toute petiote, l’œil en vrille. Je ne sais ce qu’elle faisait là avec ses bottes en caoutchouc et son grand seau (sans pelle, rassurez-vous). Une laveuse, sans doute… Une de ces femmes qui viennent brosser les tombes. Contre rétribution, pour la plupart, mais il y a aussi des bénévoles. Des qui vont briquer dehors quand c’est fini chez elles. Au Père-Lachaise, tout est possible. Bref. Me voyant œuvrer, ma petite dame me propose gentiment de m’emmener voir Montand et Signoret. Comme j’ai d’autres projets, je me défile. Elle n’en croit pas ses oreilles ! Refuser d’aller voir Yves et Simone, mais, bon sang, comment est-ce possible ? … Je m’excuse en invoquant le manque de temps ce jour-là et mon désir de photographier des statues. « Ah ! fait-elle, aussitôt consolée, je vais vous en montrer une belle ! »… Je crois que je sais de quoi elle parle, mais je fais semblant de l’ignorer. Je la suis, et chemin faisant, je la cuisine un peu. Oui, elle vient souvent ici, mais pas seulement. Elle « fait » aussi le cimetière de Montmartre et celui de Montparnasse. Elle assiste à toutes les cérémonies, celles qui concernent des vedettes, bien sûr. Pour les invités, les fleurs, et tout ça… « Mais le mieux, ce sont les anniversaires… »
Anniversaires, cérémonies du souvenir, pour Dalida (« elle, elle est au cimetière de Montmartre »), Michel Berger, etc., elle ne rate aucune occasion de voir du beau monde, ma petite dame à l’œil en vrille. Rien que d’y penser, elle rayonne. Après tout, si c’est son truc ?… Elle ne fait de mal à personne.

Une vieille connaissance


 Nous sommes arrivées à la statue qu’elle voulait me montrer. C’est bien celle à laquelle je pensais. Une vieille connaissance. Dans cette partie du cimetière, qui est toute plate, on ne peut pas la louper. Suzanne Latron, morte en 1934. Une jeune femme parmi tant d’autres, sans titre de gloire particulier. Sinon que, depuis tout ce temps-là, elle est assise sur sa chaise, les jambes croisées. Délaissant le bouquin qu’elle a sur les genoux, elle vous regarde, l’air de dire : « Oui, c’est pourquoi ?… »


Suzanne est l’œuvre de Pierre Vaudrey, spécialiste de l’art funéraire qui contribua à peupler le Père-Lachaise de statues élégamment chaussées.

Chère Suzy, avec ta robe à fleurs, ta tête trop grosse et ton sourire étrange, comment pourrait-on t’oublier ?… « Elle est belle, non ? » s’extasie mon mentor. « Superbe » que je dis, bien fort.
Mais le plus fort, dans cette histoire, c’est que je suis sincère.

Le gardien des Chimères


La sépulture Etienne Salvage de Faverolles (1786-1856), voisin de cimetière de Balzac, Nerval et Michelet : un coin bien fréquenté.


Un des grands charmes du Père-Lachaise tient aux rencontres qu’on peut y faire. Du côté qui visite comme du côté qui habite. C’est un endroit qui rapproche. Je me souviendrai toujours du « gardien » de la tombe de Gérard de Nerval, un vieux monsieur qui s’était donné pour mission de perpétuer le souvenir du poète auprès des jeunes générations. Intarissable sur l’auteur des Chimères, il suffisait d’un rien pour qu’il se mette à déclamer des vers : Je suis le ténébreux – le veuf, –l’inconsolé, / Le prince d’Aquitaine à la tour abolie… C’était grandiose. J’ignore s’il est encore de ce monde. Le Père-Lachaise est hanté par toutes sortes de personnages pittoresques, des amoureux du cimetière, qui aiment à partager leur connaissance de lieux avec de gentils visiteurs. C’est ainsi que peu à peu, on devient soi-même une de ces personnes serviables qui, à l’occasion, s’amusent à faire profiter les autres de leurs découvertes. D’une façon plus générale, les touristes, souvent un peu paumés dans l’immensité du cimetière malgré le plan qu’ils tiennent à la main, n’ont aucun mal à trouver de l’aide : « Morrison ?… Non, non, ce n’est pas par ici. Vous tenez votre plan à l’envers : c’est tout en bas, de l’autre côté du cimetière. »

Morrison


Mort d’une « crise cardiaque » (overdose ?) à Paris en 1971, Jim Morrison reste, avec Edith Piaf, l’une des célébrités les plus visitées du Père-Lachaise. 


Non loin du rond-point Casimir-Périer, la sépulture du chanteur des Doors a déjà vu passer deux générations d’admirateurs. Il y a quelques années, il suffisait de se laisser guider par les effluves de cannabis et les accords de guitare pour la trouver. Amenez-vous, c’est par ici… Pétards, chansons et canettes, l’ambiance était plutôt sympa. On aurait dit la résurgence d’un vieux rite païen. Dans l’Antiquité, on aurait trouvé normal d’aller trinquer avec un cher disparu sur sa tombe. Mais de nos jours à Paris, c’est mal pris. Aurait sans doute fallu chanter un peu moins fort (ou moins faux) et surtout pas oublier de ramasser les bouteilles (et les mégots). Trop de graffitis, peut-être aussi…


Aujourd’hui, tout a été bien nettoyé, et un sbire veille en permanence sur la tombe du chanteur. Les visiteurs, qui continuent d’affluer, repartent l’air vaguement frustrés. A part quelques minces offrandes florales sous cellophane, faut bien avouer qu’il n’y a pas grand-chose à voir. C’est souvent le cas pour les sépultures relativement récentes. Adieu sculptures, chapelles et débauche d’ornements !…  Les fastes de l’art funéraire, avec cette démesure baroque qui me ravit tellement, ont fait leur temps. Qui, aujourd’hui, aurait la folle idée (sans même aborder les questions de fric ou d’autorisation) de faire élever un tombeau comme celui qui abrite les cendres d’Elisabeth de Demidoff, « née baronne de Strogonoff, décédée le 8 avril 1818 » ?…

Au fond, le tombeau de la baronne Strogonoff. Brrr…

Sur cet impressionnant mausolée de trois étages circule une légende. On dit que la défunte aurait légué une partie de son immense fortune à quiconque oserait passer toute une nuit, seul, dans sa tombe. En prime, on vous rajoute, bien sûr, l’histoire du jeune étudiant pauvre (les étudiants sont toujours pauvres), devenu fou pour avoir tenté l’aventure. C’est un grand classique des mythes qui fleurissent dans les cimetières et autres lieux prétendument hantés : ce sont des bobards, mais on ne se lasse pas de les entendre.


Assassiné en 1870  par le prince Pierre Bonaparte , le journaliste Victor Noir eut droit, grâce à une souscription populaire, à ce séduisant gisant, signé Jules Dalou. Bien astiquée là où il faut, l’œuvre est censée opérer des miracles contre le célibat et la stérilité. N’oubliez pas les fleurs :  elles sont à glisser dans le chapeau pour compléter le rituel.

Vous avez dit bizarre?…


Trop polie, elle aussi, pour être honnête , voici « La Petite Boucher », statue réalisée par le sculpteur de ce nom pour orner la sépulture de son collègue Ferdinand Barbedienne.


Récits fantastiques, rites plus ou moins codifiés ou pratiques résolument bizarres naissent de l’air des cimetières comme champignons de l’humus des sous-bois. Le Père-Lachaise n’échappe à la règle. Dans ce domaine-là aussi, il a ses vedettes. Ne serait-ce que l’incontournable Allan Kardec (né Hippolyte-Léon-Denizard Rivail à Lyon en 1804, mort à Paris en 1869), prophète fondateur du spiritisme. Fleurie tous les jours, sa tombe en forme de dolmen continue, à l’heure actuelle, de pulvériser tous les records de fréquentation. Après s’être recueillis un moment devant l’auteur du Livre des esprits, les adeptes vont toucher brièvement son crâne en bronze. Il paraît que ça aide. Un jour, je ne sais pas ce qui m’a prise, j’ai moi aussi été poser ma main… Le truc à éviter. Quelques secondes plus tard, je me faisais accoster par une espèce de marabout qui voulait absolument me louer ses services. Un crampon pas possible. Il y en a pas mal de ce genre-là dans les parages de ce bon vieux Kardec : mieux vaut le savoir pour saborder d’emblée les manœuvres d’abordage.

Allan Kardec, le père du spiritisme à la française.  Cible régulière d’attentats à la bombe (imputés à  l’Union Rationaliste de France), ce buste revient toujours à sa place. Je soupçonne qu’on le fabrique en série.


En fait, c’est la seule mésaventure (très relative) qui me soit jamais arrivée au Père-Lachaise. Pour être tout à fait honnête, j’ajouterai quand même qu’une autre fois, par une belle après-midi d’été, j’ai aperçu, au loin, entre les feuillages, un jeune homme en train de se donner du plaisir, torse nu au soleil, debout sur une tombe isolée. Très discrètement, sur la pointe des pieds, je me suis éclipsée… Mais était-ce vraiment une mésaventure ? …

Chopin attendra…


Ceux qui prétendent d’un ton sentencieux que « la Mort aura toujours le dernier mot », devraient aller plus souvent se balader au Père-Lachaise. En plus de vérifier que la Mort, par nature, est muette, il la chercherait en vain parmi les pierres tombales. Ici, elle a déjà fait son œuvre, et la Vie, tranquille, peut reprendre ses droits…

La porte entrouverte d’une chapelle, le mystère d’une épitaphe, des petits mots, des fleurs ou des cailloux laissés sur une sépulture, le cimetière n’attend que votre passage pour vous révéler ses secrets. Les vôtres aussi, peut-être. Car les cimetières agissent comme des miroirs.

Vos plus belles découvertes seront celles que vous y ferez par vous-mêmes. Loin des grandes allées et des sentiers battus. En prenant de petits chemins de traverses. Tant pis pour Chopin, Balzac, et tous les maréchaux de l’Empire. De toutes façons, ils seront encore là quand vous reviendrez. Car vous reviendrez, n’est-il pas ?… 


Le secret de la chapelle Lamoureux


Elle, c’était une petite ouvrière, lui, un fils de famille. On refusait de les marier. Alors ils ont pris une chambre d’hôtel, rue du Château, dans le dixième à Paris, pour y mourir ensemble. L’histoire, j’ai fini par la trouver en allant fouiner à la rubrique des faits divers dans les journaux d’époque. On dirait cette chanson de Piaf qui s’intitule « Les Amants d’un jour » … Le lieu, c’est la chapelle Lamoureux, que peu de gens connaissent.  Je l’ai découverte un … 31 mars. Troublant, non ? Je vous le disais :  le Père -Lachaise est vraiment  un endroit magique !…


Détail du monument consacré à la princesse Zénaïde Dolgorouka, à deux pas de la tombe de Balzac. Le Père-Lachaise est aussi un fabuleux musée en plein air…

Texte et photos © Monika Swuine

Sur le Web
Le site parfait pour préparer une première visite :
http://www.pere-lachaise.com/

No comment…